Dans les discussions souhaitées entre distributeurs et industriels pour faire baisser les prix, la majorité de ces derniers n'a jusque-là « pas joué le jeu », estime le PDG de Carrefour Alexandre Bompard, qui pense que « le cadre législatif », voulu par le gouvernement, devrait les obliger à négocier.
Les industriels sont dans la ligne de mire du tout nouveau président de la Fédération professionnelle des supermarchés (FCD), Alexandre Bompard, par ailleurs patron de Carrefour. Il les accuse clairement de ne pas faire les efforts nécessaires pour faire sensiblement baisser les prix : « je n'ai aucun plaisir à ce petit jeu qui consisterait à mettre la responsabilité sur les industriels mais c'est la réalité, ils n'ont pas joué le jeu de la négociation », a-t-il déclaré dimanche sur BFM TV. « Sur les 75 grands industriels, j'en ai 50 qui ne me prennent pas au téléphone ».
La France, « seul pays où ça se passe si mal »
Sur la périodicité des négociations commerciales, le PDG de Carrefour a jugé que « le seul pays où ça se passe si mal, où la relation avec les industriels est aussi dégradée, c'est la France et c'est le seul pays où les négociations sont annuelles ».
Jusqu'à maintenant, en effet, tous les ans, de décembre au 1er mars, les supermarchés et leurs fournisseurs négocient les prix d'achat des produits vendus le reste de l'année aux consommateurs. Chaque distributeur contractualise avec chacun de ses fournisseurs (de petits pois, de steak haché, de Coca-Cola...), PME ou multinationale. Ces négociations ne portent que sur les grandes marques dites « nationales » comme Danone, Ferrero, Nescafé ou Haribo. Les marques de distributeurs (MDD), créées ou détenues par les supermarchés (Reflets de France chez Carrefour, Marque Repère de E. Leclerc par exemple) ne sont pas concernées.
Lors du dernier épisode conclu en mars dernier, le prix moyen payé par les supermarchés aux industriels s'est apprécié de 9%. Mais, depuis, le prix d'un certain nombre de matières premières a décru. Or, cette baisse ne se fait pas ressentir dans les rayons des magasins. « Les baisses de cours, elles, ont commencé maintenant pour certaines, il y a 9 mois. Les industriels ont décidé, c'est leur choix, de ne pas répercuter les baisses », déplorait ainsi le PDG de Carrefour mardi dernier.
Une nouvelle loi nécessaire
Le gouvernement a donc décidé, après discussions avec les représentants des deux secteurs d'activité, d'avancer les négociations annuelles pour 2024. Avec une nuance : seuls les 75 plus gros industriels sont concernés, pas les milliers d'autres entreprises fournissant la grande distribution qui, elles, continueront à négocier jusqu'au 1er mars 2024. Pour le « top 75 », parmi lesquels Bel, Pernod Ricard, Colgate-Palmolive, Lactalis, Bonduelle, Sodebo ou Bigard, la négociation annuelle devrait être conclue « dès janvier 2024 », a préconisé vendredi le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire.
Et ce, grâce à une nouvelle loi, nécessaire pour changer la date du 1er mars qui figure dans le code de Commerce. Le texte, attendu courant octobre, semble d'autant plus pertinent que les incitations du gouvernement ces derniers mois à renégocier les contrats fraîchement signés pour répercuter les baisses des prix n'ont, selon les supermarchés, que peu été suivies d'effets
Vers une baisse de l'inflation alimentaire, selon le PDG de Carrefour
Le ministre de l'Economie propose, par ailleurs, la création d'une mission parlementaire au sujet des négociations, leur forme actuelle n'apparaissant, selon un proche du dossier, « pas optimale ». Certains acteurs plaident même pour la fin des négociations annuelles, comme le patron du 4e distributeur français Système U, Dominique Schelcher, qui dénonce un « système qui nous enferme et derrière lequel les industriels (...) se réfugient ». Il aimerait négocier tout au long de l'année.
« Dans un cadre législatif, de manière obligatoire on va devoir se mettre les uns en face des autres et normalement quand on est les uns en face des autres, on arrive à négocier », selon le PDG de Carrefour. « Si nous négocions entre le 1er octobre et le 31 décembre, à partir de janvier on devrait voir le niveau d'inflation baisser de manière significative ».
Alexandre Bompard se dit « largement convaincu » qu'au premier trimestre 2024 « on sera largement au-dessous de 10% d'inflation alimentaire » (qui était de 11,1% en août, contre 12,7% en juillet) ». « J'espère qu'on sera plus près de 5% et j'espère un peu au-dessous, mais on ne sera pas à zéro. Le temps de l'inflation alimentaire à zéro est derrière nous ».
Alexandre Bompard a aussi demandé cette semaine un moratoire d'un an sur une loi dite Descrozaille limite notamment les promotions sur les produits d'hygiène et de soin à 34% du prix de vente originel. Elle doit entrer en vigueur en mars 2024. Bruno Le Maire, qui le soutient dans cette démarche, a toutefois rappelé qu'il s'agissait d'une loi d'initiative parlementaire et estimé que c'est « aux parlementaires qu'il faut s'adresser ».
Le gouvernement a par ailleurs annoncé cette semaine avoir obtenu une baisse de prix ou un blocage du prix sur 5.000 produits en rayons.
Article du 4 septembre 2023 sur "La Tribune"